Quelles sont les obligations de prévention de l’employeur ?
Il appartient à l’employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements constitutifs de harcèlement moral (C. trav., art. L. 1152-4) ou de harcèlement sexuel (C. trav., art. L. 1153-5).
La prévention du harcèlement moral ou sexuel s’inscrit dans le cadre de l’obligation générale de prévention de la santé et de la sécurité au travail pesant sur l’employeur. Celui-ci doit « « planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel » » (C. trav., art. L. 4121-2).
Le contenu de cette obligation de prévention n’est pas défini par la loi.
L’employeur peut ainsi procéder à une information des salariés, à la formation des supérieurs hiérarchiques à la gestion d’équipe ou de conflits, à la nomination d’une personne chargée de concilier les conflits, etc.
Désignation d’un référent. — Dans les entreprises d’au moins 250 salariés, l’employeur doit en outre désigner un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes (C. trav., art. L. 1153-5-1). Celui-ci peut notamment :
– réaliser des actions de formation et de sensibilisation auprès du personnel ;
– orienter les salariés vers les autorités compétentes ;
– mettre en œuvre des procédures internes permettant de faciliter le signalement et le traitement des faits de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes ;
– réaliser des enquêtes.
Obligation d’affichage. — L’employeur doit également afficher, sur le lieu de travail, ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l’embauche, les dispositions de :
– l’article 222-33 du Code pénal sur le harcèlement sexuel, ainsi que les actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel et les coordonnées des autorités et services compétents (C. trav., art. L. 1153-5) ;
– l’article 222-33-2 du Code pénal relatif au harcèlement moral sur les lieux de travail (C. trav., art. L. 1152-4).
Mentions obligatoires dans le règlement intérieur. — Enfin, l’employeur doit veiller à rappeler, dans le règlement intérieur, les dispositions du Code du travail relatives aux harcèlements moral et sexuel ainsi qu’aux agissements sexistes (C. trav., art. L. 1321-2). Ce rappel peut simplement porter sur le texte des articles L. 1152-1 et suivants et L. 1153-1 et suivants du Code du travail. Il peut aussi aller au-delà et désigner un interlocuteur pour tout salarié victime, rappeler la nécessité de respecter la dignité de chacun au travail, etc.

◗ Quels sont les autres acteurs de la prévention du harcèlement moral ou sexuel ?
Comité social et économique. — Le comité social et économique peut exercer le droit d’alerte prévu par l’article L. 2312-59 du Code du travail lorsqu’un membre de la délégation du personnel a connaissance d’une situation de harcèlement sexuel ou moral. Dans une telle hypothèse, l’employeur est tenu de mener, sans délai, une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité social et économique.
En outre, le comité social et économique doit désigner parmi ses membres un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Cette désignation intervient sous la forme d’une résolution adoptée à la majorité des membres présents. Le référent est désigné pour la durée du mandat des membres élus du comité social et économique (C. trav., art. L. 2314-1).
Par ailleurs, le comité social et économique peut nommer un expert en cas de risque grave révélé ou non pas un accident de travail ou une maladie professionnelle (C. trav., art. L. 2315-94). Il peut susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes (C. trav., art. L. 2312-9).
Services de prévention et de santé au travail. — Les services de prévention et de santé au travail assurent une mission de conseil auprès de l’employeur, des salariés et des représentants du personnel sur les dispositions et mesures nécessaires afin de prévenir le harcèlement moral, sexuel ou sexiste.
Inspection du travail. — Les délits de harcèlement moral et sexuel font en outre partie des infractions que les agents de contrôle de l’inspection du travail relèvent dans leurs constats (C. trav., art. L. 8112-2).
Remarque : lorsqu’ils sont saisis d’une plainte et qu’il existe une atteinte grave à la dignité des personnes, les agents de contrôle peuvent être amenés à réaliser une enquête dans l’entreprise. Au préalable, l’inspecteur du travail doit s’être assuré que les éléments recueillis auprès des salariés sont bien constitutifs de harcèlement moral (Circ. DGT no 2012/14, 12 nov. 2012).
Les agents de contrôle de l’inspection du travail peuvent se faire communiquer tout document ou tout élément d’information, quel qu’en soit le support, utile à la constatation de l’infraction (C. trav., art. L. 8113-5).
Obligation d’agir. — L’employeur ne saurait rester inactif ou silencieux lorsqu’il lui est rapporté des agissements pouvant relever d’un harcèlement, car cette inertie peut lui être reprochée ultérieurement au titre d’un manquement à son obligation de sécurité (Cass. soc., 23 mars 2022, no 20-23.272). Il pourrait même être condamné à indemniser le salarié et ce, quand bien même la qualification de harcèlement moral (Cass. soc., 27 nov. 2019, no 18-10.551) ou de harcèlement sexuel (Cass. soc., 8 juill. 2020, no 18-24.320) ne serait pas ultérieurement reconnue par les tribunaux. L’obligation générale de prévention qui incombe à l’employeur est en effet distincte de la prohibition des agissements de harcèlement.
L’employeur doit avant tout protéger le salarié concerné et éviter, s’il n’est pas trop tard, que la situation ne dérive en harcèlement. L’action de l’employeur est ici déterminante, car elle peut permettre d’éviter la caractérisation du harcèlement par le juge et de le convaincre que tout a été fait pour prévenir une telle situation (Cass. soc., 3 déc. 2014, no 13-18.743 ; Cass. soc., 19 nov. 2015, no 13-26.199) ou, si le harcèlement est caractérisé, de l’exonérer de sa responsabilité s’il établit en outre avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les dispositions légales (Cass. soc., 1er juin 2016, no 14-19.702 ; Cass. soc., 5 oct. 2016, no 15-20.140).
Ceci implique de conduire dans de brefs délais une enquête interne. En fonction des conclusions de cette enquête, l’employeur doit prendre immédiatement toutes les mesures permettant de protéger le salarié et de faire cesser les agissements litigieux (médiation, éloignement des protagonistes, etc.).
Remarque : l’enquête effectuée à la suite d’une dénonciation de faits de harcèlement moral n’a pas à être préalablement portée à la connaissance de l’auteur présumé des agissements pour pouvoir être produite en justice. Il n’est pas non plus obligatoire d’auditionner le salarié au cours de cette enquête (Cass. soc., 17 mars 2021, no 18-25.597), ni de le confronter à ses collègues (Cass. soc., 29 juin 2022, no 20-22.220).
L’employeur est ensuite tenu de sanctionner le salarié qui a procédé à des agissements constitutifs de harcèlement moral ou sexuel (C. trav., art. L. 1152-4 ; C. trav., art. L. 1152-5 ; C. trav., art. L. 1153-6)
À défaut, le salarié victime pourrait prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou demander la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur (Cass. soc., 22 mars 2006, no 03-44.750 ; Cass. soc., 3 févr. 2016, no 14-25.843 ; Cass. soc., 17 févr. 2021, no 19-18.149), à condition toutefois que les manquements reprochés à l’employeur ne soient pas trop anciens (Cass. soc., 19 juin 2019, no 17-31.182 : en l’espèce, prise d’acte deux ans après la fin des faits de harcèlement). Néanmoins, lorsque les manquements persistent dans le temps, les juges peuvent considérer qu’ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail (Cass. soc., 15 janv. 2020, no 18-23.417 : agissements constitutifs de harcèlement moral subis par le salarié pendant plus de 20 ans et l’ayant conduit à l’épuisement).
Reconnaissance du harcèlement. — Tant que les tribunaux ne se sont pas prononcés sur le harcèlement, l’auteur des actes litigieux reste présumé innocent. L’employeur ne peut donc pas directement lui reprocher un harcèlement sexuel ou moral. En revanche, il peut sanctionner le salarié sans attendre, sur la base des faits dont il a connaissance. Il convient alors, en cas de licenciement, de ne pas faire référence, dans la lettre de licenciement, à la commission d’un harcèlement sexuel ou moral non encore reconnu. L’employeur peut tout au plus indiquer que les faits cités ont provoqué l’engagement de poursuites pénales ou d’une action devant le conseil de prud’hommes. En revanche, une fois le harcèlement reconnu judiciairement, l’employeur peut licencier le salarié en mentionnant, dans la lettre de licenciement, le motif de la rupture, à savoir le harcèlement. Le salarié ne peut agir dans ce cas en diffamation non publique (Cass. crim., 12 oct. 2004, no 03-86.262 ; Cass. 1re civ., 7 nov. 2006, no 05-19.011).
Si la plainte pour harcèlement a abouti à un classement sans suite, une ordonnance de non-lieu ou un jugement de relaxe, il est impossible de licencier le salarié en raison du harcèlement. La décision du tribunal correctionnel s’impose au conseil de prud’hommes, en application du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. Si le juge pénal prononce la relaxe en raison de l’absence de matérialité des faits allégués, le conseil de prud’hommes ne peut reconnaître l’existence d’un harcèlement (Cass. soc., 3 nov. 2005, no 03-46.839). Il existe toutefois une exception à ce principe, lorsque le juge pénal prononce un jugement de relaxe fondé uniquement sur l’absence d’élément intentionnel : dans cette hypothèse, le juge prud’homal conserve la possibilité de caractériser des faits de harcèlement puisque, en droit du travail, une telle caractérisation ne suppose pas nécessairement l’existence d’un élément intentionnel (C. trav., art. L. 1153-1 ; Cass. soc., 25 mars 2020, no 18-23.682).
En revanche, si la procédure a démontré des fautes à reprocher au salarié (comportement grossier, insultes, actes sexuels sur le lieu de travail, etc.), celles-ci peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires, pour autant que le délai de deux mois pour sanctionner ne soit pas écoulé (sauf suspension liée à des poursuites pénales). En effet, lorsque la lettre de licenciement ne mentionne pas la qualification pénale des faits reprochés au salarié, la décision de relaxe prononcée par une juridiction répressive ne fait pas obstacle à l’appréciation du caractère réel et sérieux du licenciement (Cass. soc., 14 nov. 1991, no 90-44.663 ; Cass. soc., 28 mai 2013, no 12-12.681).
Remarque : la DGT a diffusé un guide pratique et juridique contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail.